Gravel, section de pneu et "confort"
Petit rappel préalable : le pneu assure le contact du vélo avec la route. Par la friction qu’il exerce sur le sol, il permet au vélo d’avancer, changer de direction ou de freiner. C’est sa fonction première. Et il y a une quantité de friction nécessaire et suffisante à l’exercice de cette fonction. Au delà, c’est l’énergie du cycliste qu’on gâche (à moins qu’il ne veuille freiner). Or un cycliste, par essence est l’ambassadeur du moindre effort. La recherche du confort et de l’efficacité sont donc deux préalables à toute autre chose.
Cependant, un pneu associé par nature à l’efficacité du vélo, n’est pas, en premier lieu, un élément destiné à procurer du confort. Et pourtant, quand il s’agit de vélo Gravel, on ne me parle que de ça.
Mon rôle étant de conseiller le client, que dois-je faire ? Appuyer sur une idée préconçue ? Ou donner mon honnête point de vue sur la question ?
Un peu d’histoire, pour le contexte
Depuis nos débuts (il y a bientôt 20 ans) nous proposons des cadres qui bien qu’ils n’en portaient pas le nom, étaient ce qu’on appelle aujourd’hui des "Gravel". Il s’agissait de vélos de route ou plutôt "de course" dont la seule différence résidait dans la section de pneu maximale qu’ils pouvaient accepter. De 28, on passait à 34mm. D’une fourche carbone de 370mm de haut, à 380.
Et puis vers 2013 et un peu soudainement, d’une demande occasionnelle, nos commandes de cadres "gravel titane" à graduellement augmenté. Aujourd’hui, elles représentent pratiquement la moitié de notre production. Et si je me risquais à comparer l’évolution de cette demande avec l’évolution de notre clientèle, je pourrais trouver des similarités avec l’explosion de la demande de VTT des années quatre-vingt-dix.
Le VTT, avec son guidon plat, sa position relevée et ses gros pneus inspirait le confort aux aspirants cyclistes qui souffraient sur le vélo de course au guidon cintré, aux leviers de frein hors de porté et aux pneus de 19mm gonflés à 10 bar hérité de leur père. Le VTT, vélo "sportif", passe partout et accessible aura fait la fortune d’un bon nombre de vélocistes. Puis le VTT a commencé à se décliner en VTC, en vélo "fitness" reprenant un développement mieux adapté à la route et… en réduisant la section des pneus. Et oui, plus fin c’était quand même mieux sur la route.
Confort et efficacité
La pratique cycliste est un sport exigeant. En s’y prenant correctement, la pratique est accessible à toute personne motivée. Le point clé étant naturellement ne pas souffrir plus que nécessaire. Ou, autrement dit, avoir le confort maximum sur son vélo et l’effort moindre sur les pédales. Mais, des deux, le confort est le préalable à toute autre chose : que ce soit la performance, le plaisir et l’endurance (à la mode actuellement). Ce confort est naturellement dépendant de très nombreux facteurs. Ceux-ci se retrouvent parfois à des endroits inexplorables comme le cheminement de votre système nerveux au niveau de votre périnée, la raideur de votre nuque du fait d’un accident de jeunesse, la morphologie de vos poignets etc… Bref, le confort est une question personnelle, car c’est bien vous qui avez des soucis corporels, pas le vélo.
Maintenant, il s’agit de trouver la clé pour que malgré vos problèmes, la pratique cycliste soit la plus confortable possible. Puis la plus efficace possible. C’est là que nous intervenons.
Comme pour toutes choses, il y a un ordre dans cette recherche, un premier facteur ou autrement dit "des éléments plus importants que d’autres". Celui sans qui tous les autres ne sont qu’anecdotiques (j'insiste). Et sur cette liste de choses à considérer, aujourd’hui comme dans les années 90 avec le VTT, la section des pneus semble placée bien en haut (avant ou après une "position relevée", autre erreur, mais c'est un autre sujet).
Après plusieurs centaines d’études posturale réalisées, avec pour objectif premier le confort, je suis assez confiant pour vous dire que la section de pneu (tout comme l’épaisseur de votre rembourrage de selle) n’aura qu’un rôle marginal pour votre confort. Et à l’inverse, un rôle assez critique en ce qui concerne votre efficacité à avancer (pensez Fat-Bike…).
L’amorti supérieur qu’aura un pneu de grosse section par rapport à un pneu de plus petite section est indéniable, mais la question à se poser est : est-il vraiment nécessaire sur un vélo Gravel ? Quel sera le "coût" de cette section en terme d’efficacité de pédalage et donc d’effort ?
En VTT, la section des pneus accompagne la section moyenne des cailloux et aspérités de la surface du terrain, pour résumer (et simplifier). Pour les obstacles plus gros, ce sont les amortisseurs (avant et arrière) qui prennent le relais (toujours en simplifiant).
En Gravel, la section de pneu a été augmentée pour (à pression adéquate) offrir un meilleur contact avec le chemin en gravier (ou assimilé). De 28mm maximum, on est passé à 34 et c’était le bon compromis entre tenue de route, lissage du revêtement et efficacité du pédalage. Notez qu'il y a quelques années, le pneu "SECTOR 28" de chez Hutchinson était la référence pour la course Paris-Roubaix.
Or, doucement mais sûrement, la demande de section maximale augmente. Elle est aujourd'hui au minimum de 36 et dépasse régulièrement les 40. Cela ne pose pas de problème au niveau de la fabrication mais mon souci vient du fait que la motivation de mon client ne vient pas nécessairement du terrain sur lequel il va rouler mais de sa croyance que cela va augmenter son confort à vélo… Pas sûr... Par contre, l’efficacité elle, va en prend un coup, c'est sûr.
L’efficacité du vélo est, à mon humble avis, ce qui fait que le vélo est la meilleure invention (mécanique) de l’homme. Rien de moins. Pour un effort donné, la distance parcoure dépasse toutes les autres formes de déplacement. Il n’y a pas mieux pour avancer sur sa propre énergie. Cette sensation de glisse, de se déplacer sans trop d'efforts à des vitesses et sur des distances incomparables à celles parcourues à pieds. C’est tellement important à mes yeux que je pourrai rédiger une ode à l'efficacité à vélo, mais je vais me contenir.
Donc, lorsque je vois cette efficacité sacrifiée pour de mauvaises raisons, je ne peux m’empêcher de le relever et demander au client s’il est bien sûr de son choix… Mais la mode étant, il me semble que c’est de moins en moins facile. Bon, il faut dire que bientôt on aura atteint la taille des sections de pneu VTT et on me demandera alors probablement de monter une fourche suspendue puis de mettre un guidon plat et la boucle sera bouclée !
La Po-si-tion et le complot des industriels (...)
Plaisanterie à part, cet article est là pour développer le fond de ma pensée : le confort vient essentiellement de votre position. Si votre position est mauvaise, chaque choc ou vibration se fera ressentir de manière disproportionnée. Votre réflex sera de chercher à amortir ces chocs alors que la clé c’est de changer vos appuis et donc de position. Marcher sur les genoux fait mal. La solution est elle de placer des coussins sous vos genoux ou de marcher sur vos pieds ? A vélo, c’est la même chose en plus subtil, naturellement.
Mais encore faut-il pouvoir le faire. Trouver sa position est une première étape mais pouvoir la reproduire sur son vélo en est une autre et, avec en moyenne 5 tailles de disponibles ce n’est souvent pas possible ! Imaginez donc un marathonien à qui il est donné le choix entre 5 tailles de chaussure… Il faudra qu’il soit chanceux pour obtenir la bonne !
Bon, de là à dire que l’accent mis sur la section des pneus, le "confort" d’une paire de roue, ou d’un matériau, d’une selle voir même d’un vélo en tant que tel (indépendamment du cycliste) est une conséquence de l’impossibilité pour les marques industrielles de mettre l’accent sur la position serait… une explication possible ? Ce serait une discussion de comptoir amusante.
Mais tout de même, une petite anecdote : savez-vous combien de tailles proposaient les grandes marques cycliste des années 80 / 90 ? Près d’une vingtaine. Look, Colnago, Pinarello… Le haut de gamme signifiait choix de taille (et non de section de pneu).
Donc, pour en revenir à l’artisanat et aux études posturales que chaque artisan (ou presque) propose : une fois que vous aurez la meilleure position possible (travail plus ou moins facile et long), vous pourrez vous intéresser aux cerises sur le gâteau qui sont, par exemple, la guidoline rembourrée, des boyau en soie, un cadre en titane… et même ajouter quelques millimètres à votre section de pneu pour affronter ces pavés que vous croisez occasionnellement. Mais de grâce, pas plus que strictement nécessaire !