Vélo : Les freins sur jantes sont-ils morts ?

"Les freins à disque offrent des avantages indéniables en termes de performance et de sécurité".

C'est grosso modo le consensus actuel.

Contexte : nous nous intéresserons ici aux "vélos de route" ou "vélos de course", c'est à dire une pratique cycliste sportive sur surface bitumeuse. Les pratiques "Gravel", trekking ou encore VTT ne seront pas considérées.

Sur ce sujet, chacun aura un avis plus ou moins tranché. Et j'ai naturellement mon avis personnel sur la question. Mais comme tout avis personnel, il n'a généralement qu'un intérêt très limité. Je suis néanmoins amené à conseiller des cyclistes qui hésitent lorsqu'ils doivent eux-mêmes faire un choix pour leur prochain vélo en titane (de préférence) : "Dois-je passer aux disques ?"

Comme souvent, deux choix s’offrent à moi. Le premier, simple : suivre le consensus et affirmer que le disque est l’avenir. Le second, plus complexe et nuancé : admettre que la réponse n’est pas si évidente.

Et puisque ce n'est pas si simple, voici un article qui va essayer de vous donner les outils pour que vous puissiez faire votre choix de manière éclairée.

On va s'intéresser en premier lieu à la performance de ces deux systèmes de freinage, car c'est bien le plus important. Puis nous aborderons tout ce qui ne concerne pas la performance et peut-être que tout se jouera là. Mais je ne veux pas vous dévoiler la conclusion trop tôt.

La "Performance."

Mettons de côté les sensations et intéressons-nous à l'essentiel : Il faut que ça freine, et bien.

Mais qu'est-ce que freiner d'un point de vue mécanique ? Bougez pas, je vais aller mettre ma blouse blanche :

Le freinage est la conversion en chaleur de l'énergie cinétique d'un objet par le biais de forces de friction appliquées sur la surface en mouvement, réduisant ainsi sa vitesse jusqu'à l'arrêt.

Dans le cas d'une roue on pourrait préciser :

Le freinage agit en exerçant une force de friction sur une surface en rotation, créant ainsi un couple de freinage, qui s'oppose au mouvement de la roue.

\[\tau = F_{friction} \times r\]

où : τ est le couple de freinage, F_{friction} est la force de friction entre les plaquettes (ou patins) et la surface de freinage et r est le rayon auquel cette force est appliquée.

Si l'on développe davantage, la force de friction dépend du coefficient de friction entre les surfaces (μ) et de la force de serrage perpendiculaire à la surface (ou force normale).

\[\tau = F_{normale} \times \mu \times r\]

Démultiplier sa force (λ)

La force normale appliquée au niveau des patins / plaquettes est transmise depuis la main à l'aide du levier de manette, du câble (ou liquide hydraulique) et de l'étrier. Si l'on néglige (entre autres) les pertes dues à la friction et à la déformation du câble/gaine et du liquide hydraulique/durite, il ne reste que les effets de levier au niveau de l'étrier et de la manette (en premier ordre d'approximation, bien entendu).

\[\tau = F_{main} \times \lambda \times \mu \times r\]

L'effet de levier est un rapport de démultiplication λ. Si j'applique une force sur une distance donnée, je peux, en fonction des besoins avoir en sortie de système une plus grande force sur une plus petite distance ou moins de force mais une plus grande distance. Dans le cadre du vélo (et du freinage en particulier), on a généralement un mouvement de plusieurs centimètres au niveau de la main qui serre la manette et un déplacement de quelques millimètres au niveau des plaquettes ou patins. L'objectif est donc d'augmenter la force en sortie de système.

J'ai recherché sur Internet des données constructeur concernant l'effet de levier procuré par une manette ou un étrier.Bien que les valeurs soient souvent proches, on trouve de tout. Cela est normal, car il s'agit de compromis et de choix : on ne souhaite pas trop de mouvement au niveau de la main, il faut un minimum de déplacement au niveau du patin tout en maximisant la force sur la jante (ou le disque). Cependant, cet article n'a pas pour but de comparer les manettes et les étriers et afin d'obtenir des valeurs représentatives, j'utiliserai les données suivantes :

Côté freins sur jante nous avons un ensemble Campagnolo Super Record, avec étrier avant à double pivot. Je saisis la manette et la serre de 4cm —> les patins se rapprochent l'un de l'autre de 8mm.

\[\lambda_{patins} = 40 / 8 = 5\]

Côté freins sur disque nous avons un ensemble Shimano Ultegra. Je saisis la manette et la serre de 3,5cm —> les plaquettes se rapprochent l'un de l'autre de 1,8mm.

\[\lambda_{plaquettes} = 35 / 1,8 = 19,44\]

Entre les deux il y a donc déjà un rapport de 4 en faveur du disque qui tire ici son avantage du fait que les plaquettes peuvent être beaucoup plus proches du disque que ne peuvent l'être les patins d'une jante ! Ajoutons à cela que les patins plus mous que les plaquettes nécessitent en plus d'une course plus grande pour atteindre leur point de friction maximal.

Les coefficients de friction (μ)

Reste maintenant à déterminer les coefficients de friction. Je ne vous cache pas avoir eu des difficultés à trouver des chiffres suffisamment fiables. Non seulement car ce coefficient de friction est spécifique à chaque matériau mais en plus ce coefficient de friction change avec le temps (usure, chauffe), les conditions extérieures (humidité, corps étranger, etc…) et la force exercée !

N'ayant pas la possibilité d'évaluer ce coefficient de friction de manière aussi simple que pour l'effet de levier, je vais m'en remettre aux valeurs communément admises :

  • disque/plaquettes μ = 0,45
  • patin / jante aluminium μ = 0,35
  • patin spécifique / jante carbone μ = 0,30

Comme je le disais, ce coefficient peut varier de manière significative selon les conditions. Qui ne s'est pas fait peur en voulant freiner sous la pluie avec des jantes en carbone et qui n'a pas été surpris au premier virage d'une descente de col alors que ses disques étaient encore froids… Mais nous reviendrons sur ce point plus tard. Pour nos calculs prenons une situation idéale.

Le rayon (r)

Il ne reste plus qu'à déterminer "r": la distance entre l'axe de la roue et le point de contact du patin avec la jante ou de la plaquette avec le disque.

Sur une roue de 700c, la jante a un ETRTO de 622mm. Ce ETRTO c'est le diamètre de la jante au niveau du point où la tringle du pneu repose sur la jante. Ce point est quelques millimètres en dessous du grand diamètre de la bande de freinage. Et considérant un patin de 9mm de haut, j'ai évalué à 308mm la valeur r(jante).

Pour un disque de 160mm, avec une plaquette de 20mm, j'ai considéré un r(disque) à 70mm.

Il est pertinent de noter à ce stade que le rapport de rayon entre la jante et le disque est d'environ 4 en faveur de la jante (308mm contre 70mm), compensant ainsi le rapport de 4 qui existait entre les facteurs de démultiplication λ du disque (20) et des patins (5). Ce constat est crucial lorsque vous lisez dans la presse spécialisée ou sur internet que la 'puissance' de freinage à l'étrier des freins à disque "fait toute la différence", alors qu'en réalité, cet avantage mécanique est entièrement neutralisé par le diamètre supérieur de la jante comme surface de freinage.

Calculs finaux

Maintenant que nous avons toutes les variables, voici les résultats en considérant une force de 100N exercée par la main :

\[\tau_{patins, carbone} = 100 \times 5 \times 0,30 \times 0,308 = 46,2 \text{ Nm}\]

\[\tau_{patins, aluminium} = 100 \times 5 \times 0,35 \times 0,308 = 53,9 \text{ Nm}\]

\[\tau_{disque} = 100 \times 19,5 \times 0,45 \times 0,07 = 61,4 \text{ Nm}\]

Soit, selon ces calculs, un avantage du disque de 33% sur le frein patins sur jante carbone et 14% sur le frein patins sur jante aluminium.

Il est également important de souligner, comme nous l'avons déjà mentionné précédemment, que l'avantage mécanique de l'étrier à disque est contrebalancé par le diamètre de la jante. Par conséquent, l'avantage réel du système à disque réside essentiellement dans son meilleur coefficient de friction.

En matière de freinage, le disque présente donc un avantage indéniable, mais sa performance reste néanmoins comparable à celle du système à patins, les deux se situant dans le même ordre de grandeur.

Cette proximité et les approximations et simplifications que nous avons faites pour nos calculs m'empêchent donc d'être définitif dans mes conclusions.

Un simple exemple pour illustrer mes doutes : Je n'ai pas considéré à quel endroit exact ma main serrait le levier. J'ai juste placé ma main là où cela me semblait le plus naturel en fonction du levier. Pour le levier Campagnolo (freins sur jantes), c'était à 8cm du point de levier (pour la manette Shimano c'était à 7). Mais si j'avais saisi la manette un peu plus bas, augmentant ainsi l'arc de cercle, passant de 4cm à disons 5cm, toujours en appliquant la même force et en ayant le même mouvement au niveau des patins, l'effet démultiplicateur aurait alors été :

\[\lambda_{patins} = 50 / 8 = 6,25\]

et dans ce cas là :

\[\tau_{patins, carbone} = 100 \times 6,25 \times 0,30 \times 0,308 = 57,8 \text{ Nm}\]

\[\tau_{patins, aluminium} = 100 \times 6,25 \times 0,35 \times 0,308 = 67,4 \text{ Nm}\]

Le frein à patins sur jante aluminium est d'un coup supérieur à celui sur disques… On comprend donc la fragilité des résultats calculés.

Et l'on pourrait aussi discuter du coefficient de friction qui change au cours du freinage, du rayon pour lequel on a pris un point moyen etc… Donc ma conclusion personnelle sur le sujet serait :

Oui, la performance du freinage sur disques est meilleure que celle sur jante mais il n'y a pas un monde entre les deux.

Alors : disques pour tout le monde ?

Ce n'est toujours pas si simple. Il y a les calculs et il y a le monde réel. Et en premier lieu il y a les réglages et l'entretien.

Résumons :

Freins sur jante : câble / étrier / patins / jante. Les difficultés de réglage de ce système se situent à deux niveaux :

  • parallélisme des plans de surface des patins et de la jante via réglage des patins
  • écartement juste assez grand des patins pour que l'on puisse retirer la roue (ce qui couvre l'écartement minimum pour ne pas frotter sur une jante voilée)

Une fois ces deux points atteints, considérant des patins, câble/gaine et jante neufs, vous atteindrez les capacités maximales du système.

Freins à disques : liquide hydraulique / étrier / plaquettes / disque. Là aussi, deux difficultés principales :

  • parallélisme des plans de surface des plaquettes et du disque via réglage de l'étrier
  • purge du système hydraulique de tout air…

Avez-vous déjà purgé un système hydraulique ?

L'objectif d'une purge est non seulement de renouveler le liquide hydraulique, mais aussi d'éliminer les bulles d'air qui se sont introduites avec le temps et durant la purge. Ces bulles d'air sont à éliminer car elles peuvent introduire une grande élasticité dans le système : Au lieu de compresser les plaquettes, vous allez d'abord comprimer ces bulles d'air.

Si on introduit ce paramètre dans nos calculs cela reviendrait à augmenter le mouvement au niveau de l'étrier, réduisant ainsi l'avantage mécanique.

Pour schématiser, imaginons deux bulles d'air de 1mm de diamètre collées à la face interne du piston, ce seront en tout 2mm de plus à parcourir pour écraser ces bulles avant d'appuyer sur le piston. Si on reprend nos leviers Shimano du calcul initial avec leur rapport de 20 entre le mouvement du levier et celui au niveau des plaquettes, ces 2mm d'air à écraser sont donc 40mm de course de levier à parcourir avant de pousser les plaquettes ! (On avait 35mm de course donc déjà pas assez… mais bon, les bulles d'air ne s'écrasent pas non plus sans résister donc… bref, vous avez compris l'idée).

Et je vais peut-être m'attirer les foudres de mécaniciens cycles mais de mon point de vue il est impossible de purger à 100% l'air d'un circuit hydraulique. 95, 98, 99%, possible.

Entre deux systèmes, un où il est relativement facile d'arriver à régler à la perfection et l'un où cela l'est moins, statistiquement, le système le plus simple sera plus souvent bien réglé que celui qui est plus complexe.

En somme, c'est bien beau d'avoir un potentiel de freinage supérieur, mais encore faut il se donner les moyens de l'atteindre. L'entretien et le réglage d'un système de freins disque sera en conséquence plus exigeant et plus coûteux qu'un système sur jante.

Bien que j'essaie de la contenir, vous sentez déjà ma préférence pour les freins sur jante. Mais je rappelle qu'il s'agit là d'un avis bien personnel. De plus je reconnais des avantages indéniables aux disques. Et je ne parle pas uniquement des freinages d'urgence sous la pluie avec des jantes en carbone.

Parmi ces avantages il y a la non usure des flancs de la jante. Changer un disque revient toujours moins cher que de changer une jante (surtout en carbone).

L'autre avantage indéniable : il n'y a plus de contraintes de largeur de jante et de pneu dues aux étriers. A une époque où la section des pneus et l'épaisseur des jantes ne font qu'augmenter (pour de bonnes et parfois de mauvaises raisons), le disque offre une liberté de choix indéniablement supérieure.

Je n'aborderai pas ici les questions de poids, de prix et d'esthétique dans cet article. Car le poids n'a pas réellement d'importance (contrairement à l'inertie) et pour l'esthétique et le prix je n'ai pas d'avis à donner.

Pour conclure

Le disque est donc probablement plus performant et définitivement plus moderne.

Le choix au niveau des groupes et des roues sera également plus large. Le prix à payer sera une difficulté d'entretien et de réglage plus grande.

Et on touche là, selon moi, à une des choses qui fait la beauté et l'élégance du vélo : sa simplicité. Le frein sur disque s'en éloigne. Hérité du monde de l'automobile où il n'est pas possible de mettre l'étrier à cheval sur la roue, il a été mis sur une roue secondaire et dans un autre plan parallèle. Introduisant alors des contraintes axiales nouvelles qu'il a fallu contrer avec de la matière en plus.

Et adieu la roue avant de 20 rayons radials non croisés. Quand je vous dis que c'est certainement plus moderne mais aussi moins élégant…

Si le frein sur jante était inventé aujourd'hui je pense qu'on crierait au génie : Même principe de freinage, mais sans le disque ! Un étrier ne cherchant plus à tordre le moyeu et un disque de la taille d'une roue ! Du génie dans la simplicité ! Les fabricants peaufineraient le système de désengagement des patins lors du démontage de la roue permettant ainsi une proximité plus grande des patins avec la jante et donc moins de course nécessaire (et donc un plus grand λ, je ne vous refais pas le calcul), les étriers s'accommoderaient de pneus plus larges (V-Brake ?) et pour améliorer le coefficient de friction ils créeraient un revêtement spécial sur la jante ! (en céramique ?) et là, le frein sur jante aurait tous les avantages pour lui.

Qui sait d'ailleurs… peut être qu'à l'avenir on verra un retour du frein sur jante. Et ce sera une nouvelle "révolution".

Mais aujourd'hui, en 2025, mon conseil final sera : faites-vous plaisir. De quoi avez-vous envie ? Vous savez maintenant que dans tous les cas il y aura des avantages et des inconvénients.

Alors suivez votre coeur et vous ne vous tromperez pas !

 

Si vous voulez en discuter, je vous invite à le faire sur le site dans le sujet dédié sur artisansducyle.fr.

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